Cambouis, la revue des sciences sociales aux mains sales https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis <p><em>Cambouis</em> s’intéresse aux méthodes en sciences sociales (statistiques, ethnographies, archives, entretiens, etc.), dans leurs aspects techniques mais aussi dans une optique plus réflexive (histoire des méthodes, sociologie de la quantification et des pratiques de terrain, épistémologie, etc.). Il s’agit de fournir des éléments de réponse à la question : « qu’est-ce qu’on fait quand on fait de la recherche empirique ? » <em>Cambouis</em> souhaite ainsi ouvrir l’atelier des sciences sociales pour montrer et mettre en discussion les tours de main de la science en train de se faire, patauger joyeusement dans le cambouis des problèmes infiniment faits et défaits au fil des explorations, des outils éprouvés et ajustés dans le feu de l’action, des bricolages plus ou moins stables qui produisent la vérité des sciences sociales.</p> Cambouis fr-FR Cambouis, la revue des sciences sociales aux mains sales 2800-8669 <p><em>Cambouis</em> publie ses contenus selon les termes de la <a href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International</a>.</p> <p>Les auteurices gardent leurs droits de propriété intellectuelle pleine et entière sur leurs articles.</p> <p>&nbsp;</p> La source et l’objet https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/21 <div class="content-node paragraph" data-id="paragraph_1"> <div class="content"> <div class="content-node text" data-id="text_1"> <div class="content">Les sociologues utilisant les statistiques et les statisticiens produisant de plus en plus souvent des données sociologiques, il est tentant, dans la chaleur d’un colloque interdisciplinaire, de déclarer abolie la frontière entre les deux disciplines et de célébrer la naissance d’une supra-discipline, la <span class="annotation emphasis" data-id="emphasis_1">socio-statistique</span> (ou la stati-sociologie, au choix). Nous voudrions montrer que, s’il leur arrive de se rencontrer et de coopérer, les deux disciplines ne risquent en aucune façon de converger et encore moins de se confondre, tant diffèrent les conditions de leur exercice, aussi bien que le type de rationalité qui les caractérisent. Statisticiens de l’Insee et sociologues ont pourtant affaire à la même réalité&nbsp;: la réalité sociale. Il leur arrive même, pour étudier certains phénomènes, de recourir aux mêmes méthodes d’observation, par exemple l’analyse longitudinale. Il est intéressant, dans ces conditions, d’examiner la façon dont les uns et les autres s’y sont pris pour constituer et exploiter leurs panels respectifs. Afin de raisonner sur des données comparables, on se limitera à des panels ayant trait aux revenus et aux profils de gain au cours de la vie active.</div> </div> </div> </div> Christian Baudelot (c) Tous droits réservés 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2020-01-01 2020-01-01 10.52983/crev.vi0.21 Statistique, monographie et groupes sociaux https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/27 <p>On oppose souvent, dans les manuels de sciences sociales, les méthodes d’enquête dites «&nbsp;qualitatives&nbsp;», «&nbsp;intensives&nbsp;» et «&nbsp;micro-sociologiques&nbsp;», comme les monographies locales, aux méthodes dites «&nbsp;quantitatives&nbsp;», «&nbsp;extensives&nbsp;» et «&nbsp;macro-sociologiques&nbsp;», comme les enquêtes statistiques par sondages portant sur une aire géographique étendue. Cette distinction, apparemment simple, risque cependant de fermer la réflexion méthodologique dans la mesure où ces oppositions pédagogiques plus que scientifiques paraissent aujourd’hui évidentes. La force de cette classification formelle tient au fait qu’elle s’appuie sur des dichotomies scolaires (qualité/quantité, micro/macro, etc.)&nbsp;; mais elle tient aussi au fait qu’elle renvoie à la vieille opposition entre «&nbsp;individu&nbsp;» et «&nbsp;société&nbsp;». Dans cette logique, on considère la monographie et l’analyse de cas comme bien adaptées pour saisir le particulier, le singulier, bref, l’individu et sa psychologie, alors que les enquêtes statistiques par questionnaires sont censées saisir plutôt le collectif, le social ou, comme disent certains, le «&nbsp;sociologique&nbsp;». Or, cette opposition, loin d’aider à un usage raisonné des méthodes d’enquêtes, fait écran à un certain nombre de problèmes proprement sociologiques comme celui de la nature des groupes sociaux.</p> Patrick Champagne (c) Tous droits réservés 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2020-02-01 2020-02-01 10.52983/crev.vi0.27 Effets de méthode https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/23 <div class="content-node paragraph" data-id="paragraph_1"> <div class="content"> <div class="content-node text" data-id="text_1"> <div class="content">S’il y a de nombreuses manières d’étendre ou de restreindre un objet d’étude, on ne peut, s’agissant de sciences sociales, négliger les variations affectant l’aire géographique, la dimension historique, le nombre d’individus étudiés ni l’extension du thème ou domaine. Il est évident que modifier une de ces dimensions peut affecter les autres. Mais on tend à l’heure actuelle à imputer à l’extension numérique de l’objet — et à la technique quantifiée qui lui correspond — des effets propres sur l’objet, sur ce qu’elle en saisit et ce qu’elle en méconnaît. L’argumentation n’est pas sans rappeler des débats analogues construits autour d’oppositions temporelles (temps long, temps court) ou plus spatialisantes (micro, macro). Notre intention n’est pas de nier l’existence d’effets de méthode sur l’objet à la constitution duquel elles participent, mais il nous apparaît que celles qui sont le plus couramment relevées ne sont imputables à aucune différence d’extension de l’objet en tant que telle, ni temporelle, ni spatiale, ni numérique, ni thématique, mais à la diversité des points de vue qui sont pris sur l’objet ou, en d’autres termes, au nombre de relations différentes dans lequel il est inséré et qui le constituent au sens plein comme objet social. En d’autres termes encore, il nous semble qu’on oublie trop souvent de peser (et le cas échéant d’opposer) les conséquences sur l’objet de deux approches qui sont très strictement affaires de méthode (et sont en droit indépendantes des propriétés intrinsèques de l’objet)&nbsp;: une approche compréhensive dans laquelle l’objet est compris dans et comme un faisceau dense de relations, une approche par abstraction généralisante qui déploie (explique) un ou quelques aspects isolés (isolés donc abstraits) de l’objet, aspects qui, par et dans l’abstraction même qui les constitue, sont homogènes et donc aisément comparables et généralisables.</div> </div> </div> </div> Jean-Claude Combessie (c) Tous droits réservés 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2020-03-01 2020-03-01 10.52983/crev.vi0.23 Réflexions sur la portée sociologique des diverses phases du travail statistique https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/67 <p>Les liens entre l’Insee et la recherche économique sont explicités et institutionnalisés depuis longtemps, en particulier au sein de l’Unité de Recherche de cet Institut, largement centrée sur des recherches économétriques. En revanche, l’apport de l’Insee à la recherche sociologique est plus rarement décrit, et encore moins revendiqué, dans la mesure où la plupart des enquêtes de l’Insee sont conçues à des fins d’éclairage de la gestion économique ou administrative, ou en vue des travaux de prévision utilisant les modèles de la comptabilité nationale, et non explicitement dans le cadre de recherches sociologiques. Pourtant, ces enquêtes et recensements ne constituent pas seulement une mine irremplaçable de données chiffrées pour les chercheurs, mais leur conception, leur préparation, leur réalisation, leur exploitation et l’analyse de leurs résultats sont autant d’occasions de poser, et souvent de résoudre, des problèmes sociologiques sur lesquels les «&nbsp;praticiens chercheurs&nbsp;» de l’Insee ont accumulé une expérience très grande&nbsp;: les difficultés rencontrées sont bien sûr «&nbsp;techniques&nbsp;», mais leur traitement implique une réflexion théorique que l’on voudrait suggérer ici très brièvement, en décrivant les six étapes qui découpent, en partie arbitrairement, les différentes phases d’une opération statistique.</p> Alain Desrosières (c) Tous droits réservés Alain Desrosières 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2021-01-04 2021-01-04 10.52983/crev.vi0.67 Un essai de mise en relation des histoires récentes de la statistique et de la sociologie https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/1 <div class="content-node paragraph" data-id="paragraph_1"> <div class="content"> <div class="content-node text" data-id="text_1"> <div class="content">Une réflexion sur les relations entre statisticiens et sociologues ne peut se contenter de confronter des problématiques et des démarches, tant celles-ci semblent résulter de l’inscription institutionnelle, des trajectoires professionnelles des uns et des autres et des marchés de leurs productions respectives. L’histoire des deux groupes, en particulier, permet de comprendre leurs relations, ou absences de relations, actuelles et son étude est indispensable pour situer les apports et les limites des travaux de chaque groupe, limites inscrites dans les conditions sociales de formation, de recrutement, de carrière, de financement, etc. Ainsi le système statistique français s’est développé, depuis la fin du dix-neuvième siècle, en diverses étapes tendant à la constitution d’un réseau d’institutions, dont l’Insee est la principale, dotées simultanément de moyens importants, d’une certaine autonomie administrative et d’une compétence socialement reconnue, fondée en particulier sur un recrutement comparable à celui des corps à haut prestige social : ces divers traits ne sont pas réunis de façon similaire dans la plupart des autres pays. La sociologie française, pour sa part, héritière d’une tradition intellectuelle brillante, issue de la philosophie, a eu dans un premier temps une insertion universitaire. Puis, après la Seconde Guerre mondiale, l’extension rapide du marché des diverses sciences sociales a simultanément accru les moyens de la sociologie et entraîné son émiettement, en raison de sa position relative par rapport aux autres sciences sociales (économie, démographie, d’une part, histoire ou ethnologie, de l’autre) et d’un développement, par le biais de la politique contractuelle, d’un grand nombre de centres de recherches de petite taille et de statut précaire : certains d’entre eux ont produit des travaux importants mais ne disposaient en général pas de relais institutionnels suffisants pour garantir leur suivi et leur reproduction. Une étude du développement concret des sciences sociales en France ne peut donc isoler un de ces deux ensembles, tant chacun d’entre eux a eu à se définir, au moins à certains moments, par rapport aux autres, comme le montrent l’examen historique et l’interview de quelques-uns des acteurs de cette histoire.</div> </div> </div> </div> Alain Desrosières (c) Tous droits réservés Revue Cambouis 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2021-01-05 2021-01-05 10.52983/crev.vi0.1 Pourquoi valoriser le travail domestique ? https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/33 <div class="content-node paragraph" data-id="paragraph_1"> <div class="content"> <div class="content-node text" data-id="text_1"> <div class="content">En septembre 1981, <em><span class="annotation emphasis" data-id="emphasis_1">Économie et statistique</span></em> publie un article, intitulé «&nbsp;Peut-on mesurer le travail domestique&nbsp;?&nbsp;» (Chadeau et Fouquet, 1981), qui donne une estimation du travail domestique accompli par les Français pendant une année&nbsp;: 48 milliards d’heures représentant entre 411 et 986 milliards de francs 1975, soit entre 32 et 77&nbsp;% du Produit Intérieur Brut (PIB) marchand. Ce papier décrit la genèse de cette étude (pourquoi elle a été réalisée à cette date par l’Insee, parties I, II, III) et propose une réflexion sur sa portée (IV), éclairant par-là certains rapports entre économie et sociologie (V). Le travail domestique est un objet qui peut être traité par plusieurs disciplines des sciences humaines. Si l’évaluation monétaire faite par l’Insee a contribué à le faire basculer du côté de l’économie, c’est en réponse à une «&nbsp;demande sociale&nbsp;» venue d’horizons contradictoires, convergeant paradoxalement sur la «&nbsp;reconnaissance de la valeur&nbsp;» du travail domestique.</div> </div> </div> </div> Annie Fouquet (c) Tous droits réservés Revue Cambouis 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2021-01-06 2021-01-06 10.52983/crev.vi0.33 Idéal de l’individu, individu statistique, individu social https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/49 <p>La notion de Personne constitue, depuis environ deux siècles, le foyer du système de valeurs officielles des sociétés occidentales. Mais est-il possible pour autant, comme l’écrit Marcel Mauss, de considérer que la «&nbsp;révolution des mentalités est faite&nbsp;» et que cette notion, à la fois catégorie de l’idéologie et concept sociologique, décrit adéquatement les réalités sociales de l’existence individuelle&nbsp;? Et, au-delà de Marcel Mauss et des sociologues, la statistique, au moins dans certains de ses actes méthodologiques, ne partage-t-elle pas le «&nbsp;trésor commun&nbsp;» de cette même conviction&nbsp;? La méthodologie établie du questionnaire standardisé ne tient-elle pas qu’il n’y a d’acteur et d’activité dignes de ce nom qu’individuels&nbsp;? Qu’un interviewé ne peut que répondre pour lui-même et en son nom propre&nbsp;? Et qu’il est toujours «&nbsp;équipé&nbsp;» symboliquement pour le faire&nbsp;? Cette communication se propose d’envisager l’éventualité, et d’analyser les effets, d’une telle rencontre entre les valeurs de la Personne et la méthodologie du questionnaire statistique.</p> Michel Grumbach (c) Tous droits réservés 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2021-01-07 2021-01-07 10.52983/crev.vi0.49 Résistance à la statistique, résistance à la sociologie https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/57 <p>L’objectivation du monde social, tâche essentielle de la sociologie, passe par la réduction statistique. C’est en appréhendant «&nbsp;à vol d’oiseau&nbsp;» les trajectoires personnelles qu’on a le plus de chances de les mettre en parallèle et d’en révéler la vérité profonde. Or rien n’est plus malaisé qu’une telle rupture. Rien n’est plus coûteux que cette banalisation de l’irréductible qu’implique l’analyse sociologique du monde social. On se propose de montrer ici que la pratique sociologique ne se définit pas sans la pratique statistique, et réciproquement. Elles se constituent en quelque sorte par une série de prises de position de l’une sur l’autre. On avancera d’abord que la résistance à l’objectivation statistique exprime très couramment une opposition à toute objectivation de type sociologique. Mais cette première proposition sera corrigée par une seconde, à savoir que la statistique peut à son tour constituer le moyen d’échapper aux exigences de l’analyse sociologique. À cela une explication simple&nbsp;: la statistique est objectivement une technique de rupture avec les représentations spontanées, elle n’en est pas encore une théorie. C’est à la sociologie de prendre le relais en tentant d’analyser la distance qui sépare les régularités statistiques des représentations spontanées. Quelques exemples illustreront ce double mouvement et réussiront peut-être à montrer qu’il ne renferme aucune contradiction…</p> François Héran (c) Tous droits réservés François Héran 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2021-01-08 2021-01-08 10.52983/crev.vi0.57 Vieillissement et rapports entre générations https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/93 <p>Des travaux récents sur l’évolution des salaires selon l’âge et les catégories socio-professionnelles mettent en cause une représentation des effets du vieillissement que beaucoup de sociologues partagent : assimilant hâtivement la distribution des salaires moyens touchés, à un moment donné, par des individus d’âge différent à l’évolution moyenne de ces rémunérations au cours de la vie des individus, ils observent que les salaires baissent au-delà d’un certain âge et que cette diminution intervient d’autant plus tôt qu’on descend dans la hiérarchie sociale. Au contraire, l’analyse des courbes longitudinales des salaires fait apparaître qu’avec l’âge les salaires de toutes les catégories sociales tendent à augmenter et que, si l’accroissement moyen des salaires individuels baisse, cette diminution est relativement plus forte chez les cadres que chez les ouvriers (Barge et Payen, 1981). Outre qu’elle permet de redresser une erreur incontestable, l’étude longitudinale des salaires permet de décrire avec la précision nécessaire l’évolution de la valeur d’un individu sur le marché du travail, contribution essentielle à une analyse des trajectoires professionnelles. Il reste qu’on ne saurait abandonner pour autant l’examen des courbes transversales qui, à défaut de décrire l’évolution des salaires selon l’âge, établissent un état de la répartition des rémunérations entre les générations et les catégories socio-professionnelles. On peut se demander si une étude sur le vieillissement lui-même peut se passer d’une telle information, car ce processus ne saurait être assimilé à l’avance en âge, sous peine de naturaliser une donnée qui n’existe que socialement définie. En effet, la vieillesse n’est pas un attribut inéluctablement lié à l’avance en âge, tel que l’enregistre l’état civil ; elle est l’objet d’une manipulation sociale qui, précisément, met en relation les générations et les classes sociales.</p> Rémi Lenoir (c) Tous droits réservés Rémi Lenoir 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2021-03-09 2021-03-09 10.52983/crev.vi0.93 Ce que dit un tableau et ce qu’on en dit https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/35 <p>La distance évidente qui sépare la catégorisation statistique de la conceptualisation sociologique est souvent traitée par les sociologues comme une distance hiérarchique qui séparerait une approximation opératoire et formelle de la saisie signifiante et substantielle des phénomènes, geste suprême réservé à la sociologie. Le contenu corporatiste d’un tel programme ne devrait pas dissimuler aux sociologues son risque essentiel, celui de pratiquer <em>l’auto-suffisance théorique</em> d’une sociologie qui n’aurait de comptes à rendre qu’aux constats qui la confortent et qui se réserverait de porter au passif des imperfections mécaniques de l’instrument statistique ce que celui-ci ne vérifie pas des constructions conceptuelles du discours sociologique. À la limite, la signification du raisonnement statistique ne pourrait lui advenir que de l’extérieur&nbsp;: ce serait toujours à lui de s’amender pour mériter de servir par ses «&nbsp;constats illustratifs&nbsp;» des énoncés sociologiques qui tirent d’ailleurs leur «&nbsp;évidence&nbsp;». De leur côté, les statisticiens ne sont évidemment pas en reste en matière d’épistémologie corporative. Accoutumés aux exigences du recueil et du traitement de l’information et sachant ce qu’il en coûte d’arriver à homogénéiser les données économiques et sociales, ils sont inévitablement enclins, pour préserver l’univocité des énonciations portant sur des constats de recensement ou de corrélation si chèrement acquis, à une défiance généralisée envers tout changement du langage d’énonciation des constats de base, autrement dit à marquer une réticence de principe envers l’<span class="annotation emphasis" data-id="emphasis_5">interprétation</span> conceptuelle, toujours suspecte de surinterprétation polysémique. À la limite, les «&nbsp;langues artificielles&nbsp;», comme la langue tabulaire du tableau croisé ou la langue graphique des plans factoriels, seraient les seules à ne pas déformer les énoncés d’observation et de traitement, dont l’expression en «&nbsp;langue naturelle&nbsp;» majorerait toujours le sens de manière incontrôlée et incontrôlable. Il y a pourtant un accord latent entre ces deux épistémologies coutumières lorsqu’elles atteignent leur forme limite&nbsp;: elles semblent bien convenir que le discours statistique et le discours sociologique diffèrent intrinsèquement par leur nature assertorique. On part ici, tout au contraire, du postulat épistémologique <span class="annotation emphasis" data-id="emphasis_7">que toutes les conceptualisations opérées à partir de l’observation du monde historique possèdent, en tant qu’abstractions scientifiques, une pertinence empirique commune</span> ou, si l’on veut, que les énonciations des différentes sciences sociales ne peuvent avoir qu’une seule indexation de vérité&nbsp;: <span class="annotation emphasis" data-id="emphasis_8">l’observation historique par quelque méthode qu’on l’opère</span>, même si elles diffèrent par la logique des raisonnements qui mettent en œuvre les constats issus de cette observation.</p> Jean-Claude Passeron (c) Tous droits réservés 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2021-01-09 2021-01-09 10.52983/crev.vi0.35 Équipements collectifs et ségrégation sociale https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/51 <div class="content-node paragraph" data-id="paragraph_1"> <div class="content"> <div class="content-node text" data-id="text_1"> <div class="content">Dans le cours de nos recherches sur les politiques urbaines, l’analyse statistique de la distribution spatiale et sociale des équipements collectifs à l’échelle d’une région urbaine socialement diversifiée nous a paru une étape indispensable pour l’étude des effets sociaux de ces politiques. Rassembler, traiter, interpréter la somme, considérable, des informations nécessaires sur un ensemble social aussi vaste que la région parisienne demande un travail tel qu’il implique, en fait, la coopération de plusieurs chercheurs pendant plusieurs années. Du point de vue des rapports entre les chercheurs eux-mêmes, ce n’est pas toujours simple, dans la mesure où il faut gérer en permanence la contradiction entre la nécessité d’une problématique commune définissant précisément le programme de travail et les différences inévitables (et productives à condition qu’elles ne soient pas paralysantes) de sensibilité théorique, de manière de travailler, d’écrire… De plus, l’idéologie professionnelle dominante dans la recherche en sciences sociales est fortement individualiste, et les instances scientifiques, commissions du CNRS entre autres, ont une attitude encore trop réservée par rapport aux travaux collectifs. La réalisation de travaux empiriques d’une certaine ampleur exige également des moyens importants. Ces travaux présentés ici ont pu être menés à leur terme grâce principalement aux financements du Commissariat Général au Plan puis à ceux du Plan-Construction. Bien sûr, ce n’est pas très élégant de parler d’argent dans une discussion épistémologique. Et puis nous avions «&nbsp;choisi&nbsp;» les plus mauvaises conditions possibles pour faire ce travail&nbsp;: sur contrats (il nous en a fallu sept ou huit pour l’ensemble du programme, gymnastique passible de la réprobation de la Cour des comptes, faut-il l’avouer&nbsp;?) devant financer nos salaires, les charges sociales, etc., avant même les frais de recherche, et tout cela en pleine période de récession de la recherche contractuelle et de désintérêt pour les travaux sociologiques quantitatifs de la part de nombreuses administrations. Et il faut bien dire que le long travail de «&nbsp;digestion théorique&nbsp;» des résultats, indispensables pour donner tout son sens au travail statistique, n’a pu avoir lieu vraiment que grâce à notre intégration au CNRS en cours de route.</div> </div> </div> </div> Monique Pinçon-Charlot Edmond Préteceille Paul Rendu (c) Tous droits réservés 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2021-01-10 2021-01-10 10.52983/crev.vi0.51 Le répertoire figuratif des personnes interrogées https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/37 <div class="content-node paragraph" data-id="paragraph_3"> <div class="content"> <div class="content-node text" data-id="text_3"> <div class="content">L’univers professionnel dans lequel vivent sociologues et statisticiens les conduit à oublier fréquemment que les intérêts scientifiques auxquels ils adhèrent ne constituent pas un intérêt général et que leurs intérêts peuvent déranger d’autres intérêts particuliers. On voudrait faire ici le relevé des modalités par lesquelles les individus (et les groupes) se protègent de l’enquête et étudier les effets de cette résistance sur le matériel recueilli. Cette communication propose une extension de la problématique d’Erving Goffman, notamment celle des <em><span class="annotation emphasis" data-id="emphasis_9">Rites d’interaction</span></em> (Goffman, 1974), à la situation de l’interrogatoire scientifique. Elle décrit le travail de figuration auquel sont contraints les individus soumis au questionnement. Ceux-ci doivent utiliser au mieux leur compétence théâtrale, requise dans toute interaction, pour éviter les faux pas plus probables étant donné certaines caractéristiques de la situation d’enquête et de la structure du questionnaire.</div> </div> </div> </div> François de Singly (c) Tous droits réservés 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2021-01-11 2021-01-11 10.52983/crev.vi0.37 Approche des classes sociales à partir des statistiques communales https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/53 <div class="content-node paragraph" data-id="paragraph_1"> <div class="content"> <div class="content-node text" data-id="text_1"> <div class="content">Très ingénument, cette communication hasarde une réponse à la confrontation CSP/classes sociales qui nous était proposée au point B.1.1 de la grille thématique de cette table ronde. Nous étant intéressé à l’observation du changement économique et social à l’échelon communal, nous avons eu à résoudre les problèmes de passage d’une problématique conceptuelle à la description statistique sous la forte contrainte de réalité qu’est la connaissance qualitative de la commune obtenue par le chercheur à travers les entretiens, l’observation et l’enquête. Si l’on veut tenir les deux bouts de cette confrontation, il faut se refuser à un double réductionnisme. D’une part, celui de l’explication de la dynamique sociale communale par le seul jeu des classes au plan national&nbsp;: on donne alors à la commune un rôle illustratif et on s’interdit la prise en considération du fonctionnement local des classes sociales. D’autre part, celui de la simple modélisation statistique qui tire ses conclusions d’un ensemble de comparaisons entre la commune et d’autres communes ou entre la commune et des références plus larges (canton, département, France)&nbsp;: on ne définit alors que des spécificités relatives à une moyenne ou à un accroissement moyen, mais sans avoir les moyens d’expliquer ces spécificités. Il convient alors de mettre en œuvre une démarche où les deux termes sont le fruit d’élaborations méthodologiques ayant entre elles une correspondance certaine. Nous avons tout d’abord cherché des solutions générales qui soient valables quel que soit le découpage géographique&nbsp;; nous verrons qu’elles ne sont pas fiables. Aussi nous nous sommes orientés dans une voie qui tient compte des particularités de l’échelon communal. En dernier lieu, nous avons confronté le résultat obtenu à notre corps d’hypothèse pour en montrer la relativité et l’intérêt.</div> </div> </div> </div> Pierre Vergès (c) Tous droits réservés 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2021-01-12 2021-01-12 10.52983/crev.vi0.53 Corrélations écologiques et comportement des individus https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/101 <p>Hanan C. Selvin inventa l’expression d’erreur écologique (<em>ecological fallacy</em>) dans un article de 1958. Il y pointait les erreurs d’interprétation d’Émile Durkheim qui, dans <em>Le suicide</em>, établissait des corrélations entre diverses propriétés sociales et la propension au suicide à partir de données agrégées à l’échelle de territoires (le département pour la France, la région pour la Prusse, etc.). Par exemple, le taux de suicide étant plus important dans les régions de Prusse où les protestants sont plus nombreux, il existerait un lien entre protestantisme et suicide. Or, les suicides recensés pouvaient en réalité concerner tout autant des protestants que des catholiques : les données ne permettant pas de le mesurer au niveau individuel, il est erroné d’en déduire un lien <em>individuel</em> entre religion et suicide. Selvin appuyait sa critique sur un article de William S. Robinson paru huit ans plus tôt, dont <em>Cambouis</em> propose ici une traduction. Robinson établit mathématiquement, pour la première fois, les raisons pour lesquelles une corrélation observée entre des pourcentages ou des taux portant sur une population agrégée à l’échelle de découpages territoriaux s’avère souvent différente d’une corrélation entre des caractéristiques mesurées à l’échelle des individus composant cette population. Ainsi, plus les immigré⋅es sont nombreux dans une région des États-Unis, plus le taux d’illettrisme y est faible ; pourtant, à l’échelle individuelle, les immigré⋅es s’avèrent en moyenne plus souvent illettré⋅es que les autochtones (une explication possible de cet écart est que les immigré⋅es tendent à s’installer dans les régions aux plus faibles taux d’illettrisme). S’il nous paraît utile de remettre en visibilité cette démonstration aujourd’hui, c’est qu’elle n’a pas empêché depuis que nombre d’analyses statistiques succombent (tout en s'en défendant souvent) à la tentation d’inférer des relations « écologiques » mal contrôlées en l’absence de données individuelles – c’est ainsi fréquent en analyse électorale, lorsque par exemple est déduit de la corrélation entre la forte présence d’ouvrier⋅es et l’importance du vote FN/RN à l’échelle des circonscriptions que les ouvrier⋅es seraient passé⋅es du vote PCF au vote FN/RN, alors que les sondages « sorties des urnes », qui offrent des données individuelles, établissent que, pour l’essentiel, ce ne sont pas les mêmes ouvrier⋅es qui votaient PCF (et aujourd’hui tendent à s’abstenir) et qui votent aujourd’hui FN/RN (et qui auparavant tendaient à s’abstenir). Le risque d'erreur écologique est également l'un des facteurs du développement des modèles multiniveaux, par exemple en sciences politiques ou en démographie (voir, respectivement, les travaux d'Andrew Gelman et de Daniel Courgeau).</p> William S. Robinson (c) Tous droits réservés William S. Robinson 2024 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2024-01-21 2024-01-21 10.52983/crev.vi.101 Oreilles ethnographiques https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/105 <p style="line-height: 115%; margin-left: 0.5cm; margin-top: 0.42cm; margin-bottom: 0.42cm;" align="left"><span style="font-family: Calibri;">La traduction en français du texte de deux « films-conférences » de Steven Feld est l’occasion pour <span style="color: #0000ff;"><u><a href="https://www.centre-max-weber.fr/Anthony-Pecqueux" target="_blank" rel="noopener">Anthony Pecqueux</a></u></span>, spécialiste entre autres de la dimension sensible des rapports sociaux, de présenter et de questionner les enjeux méthodologiques de la démarche de ce pionnier de l’anthropologie du sonore. Il explore en effet différentes méthodes d’observation et de collecte des environnements, des productions et des savoirs acoustiques de diverses sociétés, et élabore des formats de restitution de ses enquêtes capables de faire entendre ce qu’il nomme les acoustémologies.</span></p> Anthony Pecqueux (c) Tous droits réservés Anthony Pecqueux 2023 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2023-12-30 2023-12-30 10.52983/crev.vi.105 La citation comme technique de persuasion et comme preuve https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/97 <p style="margin-left: 0.5cm; margin-top: 0.42cm; margin-bottom: 0.42cm; line-height: 100%;" align="left"><span style="font-family: Calibri;"><span style="font-size: small;">La citation de matériel documentaire, composé d’entretiens, de notes d’observation, de documents privés ou publics, est une chose banale, presque routinière, en sociologie. La banalité du procédé n’implique pas cependant qu’y avoir recours soit exempt d’intentions précises de la part des chercheurs, ni qu’il soit sans conséquences sur la perception d’un texte par ses lecteurs. Peu d’écrits pourtant s’attachent de façon précise, exemples concrets à l’appui, aux enjeux épistémologiques de la citation et à ses aspects pratiques. Chacun fait au mieux, et plus ou moins à sa convenance. Ici les citations apparaissent sous forme de blocs en retrait et en corps réduit, là elles se fondent dans la continuité du texte maître. Ici le matériel documentaire semble en entier, et inaltéré, là il est décomposé et réécrit. Chacun du moins revendique au même titre la solidité de ses analyses, dont le matériel documentaire est à la fois la source et le garant. Des chercheurs énoncent que les citations ont peu de valeur probatoire, toutefois, si bien que nos efforts pour aboutir à une version des choses établie sur des preuves, comme telle ouverte au débat contradictoire, seraient vains. Qu’en est-il vraiment&nbsp;? Autrement dit, pourquoi citer, ainsi que nous sommes accoutumés à le faire&nbsp;? Et existe-t-il, malgré tout, des principes utiles&nbsp;? Telles sont les questions ici abordées, par retour de l’auteur sur la façon dont il a procédé dans <em>Avec ceux du FN</em> et dans <em>Martial</em>, et par référence aux nombreux chercheurs qui ont tenté, depuis près d’un siècle, d’apporter des réponses à ces questions qui sont l’ordinaire de notre travail.</span></span></p> Daniel Bizeul (c) Tous droits réservés Daniel Bizeul 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2021-07-13 2021-07-13 10.52983/crev.vi0.97 Introduction - Pratiques et politiques de la négociation pour accéder et se maintenir sur un terrain d’enquête https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/71 <p>Introduction au dossier « Négocier un terrain d'enquête »</p> Agnès Aubry Morgane Kuehni Laure Scalambrin (c) Tous droits réservés 0 2021-04-01 2021-04-01 10.52983/crev.vi0.71 Négocier sa place auprès des sans-abri https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/73 <p>En partant d’une étude menée en immersion ethnographique pendant 8 mois dans le monde de la rue, auprès des sans-domiciles présents à Nancy, cet article développe les procédés de négociation qui ont été déployés pour entrer sur le terrain, s’y maintenir et y obtenir, tant bien que mal, les données nécessaires à la réalisation de l’enquête. La diversité des personnes en situation de rue oblige le chercheur à ajuster sa présentation de soi pour développer des relations personnalisées avec ses enquêtés et accéder aux coulisses du monde de la rue. L’article distingue la phase stratégique d’anticipation du terrain et la phase tactique d’adaptation au milieu, en situation, destinée à maximiser les possibilités d’entrer dans des relations de réciprocité affinitaires. En filigrane, émerge une interrogation constante de la relation d’enquête, entre la proximité relationnelle et l’asymétrie structurelle du rapport enquêteur/enquêté.</p> Thibaut Besozzi (c) Tous droits réservés 0 2021-04-02 2021-04-02 10.52983/crev.vi0.73 Accéder au terrain, s’y maintenir, le quitter https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/75 <p style="margin: 0.42cm 1cm 0.42cm 1cm;"><span style="font-family: Myriad Pro;">S’appuyant sur une thèse de sociologie consacrée au «&nbsp;tourment militant&nbsp;» au sein du Parti Socialiste et fondée sur une enquête par immersion ethnographique, l’article se propose de revenir sur les trois étapes de cette immersion – l’accès au terrain, le maintien sur celui-ci, la sortie du terrain. Seront ainsi interrogées, pour chacune d’entre elles, les stratégies plus ou moins conscientes mises en œuvre par le chercheur pour négocier sa place sur le terrain, <span style="color: #000000;">passant progressivement du statut de jeune doctorant sympathisant à celui de «&nbsp;militant professionnalisé&nbsp;»</span>. Assumer la double identité de militant et de chercheur nécessite de concilier, d’un côté, l’établissement et l’entretien de relations interpersonnelles sur les différentes scènes du monde militant local avec, de l’autre côté, les logiques d’objectivation qu’impose l’enquête. L’article permet ainsi de soulever la question de la négociation de la présence du chercheur sur son terrain (s’assurer des cooptations, faire ses preuves, donner des gages de fidélité…) et de l’évolution des formes que peut prendre cette négociation au cours d’une recherche par immersion ethnographique de longue durée. En offrant un accès à une intimité militante difficilement explorable par d’autres voies méthodologiques que celle ici analysée, la recherche a finalement rendu possible une sociologie «&nbsp;par le soi&nbsp;» du «&nbsp;tourment militant&nbsp;».</span></p> Kevin Delasalle (c) Tous droits réservés 0 2021-04-03 2021-04-03 10.52983/crev.vi0.75 L’ethnographie au péril de la formalisation des procédures d’enquête https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/77 <p style="orphans: 2; widows: 2; margin: 0.42cm 1cm 0.42cm 1cm;"><span style="font-family: Myriad Pro;">Pour les chercheur.es se revendiquant d’une approche ethnographique, la négociation de l’accès à un terrain de recherche représente une occasion de compréhension du monde. Dès lors, la formalisation croissante des procédures d’enquête conduit à se demander dans quelle mesure les modalités d’accès aux terrains sont transformées et interrogent l’ethnographie jusque dans ses fondements. Dans cette perspective, nous présentons le déroulement de l’accès au terrain pour une recherche portant sur les relations école-familles au sein de l’enseignement primaire genevois. Nous décrivons le processus ayant permis de recueillir les données, les ajustements réalisés, les difficultés et les contraintes éprouvées par les chercheur.es lors des différentes phases de la négociation&nbsp;: (1)&nbsp;en amont de la recherche, au cours de la conception du projet et des procédures visant à obtenir les accords nécessaires, (2)&nbsp;au début de l’enquête, auprès des directeur.trices et des équipes pédagogiques et (3)&nbsp;auprès de chaque enseignant.e tout au long du travail de terrain. Si l’analyse du processus de négociation donne l’occasion de saisir l’environnement qui configure le terrain et la manière dont les acteurs s’y inscrivent, la formalisation a des effets tangibles sur l’enquête, puisqu’elle tend à étirer et à rigidifier cette phase préalable ainsi qu’à contrecarrer une négociation interindividuelle. Les relations entre chercheur.es et enquêté.es apparaissent dénaturées et un climat de crainte pour soi et pour autrui s’installe. Les réticences de certain.es professionnel.les vis-à-vis de l’enquête, qui s’érigent en défenseurs des usagers, apparaissent avant tout comme une protection des institutions (et des professionnel.les) et comme l’expression d’une judiciarisation des rapports sociaux. Ceci nous conduit alors à interroger la part d’autonomie et de liberté des chercheur.ses.</span></p> Diane Rufin Fabien Deshayes (c) Tous droits réservés 0 2021-04-04 2021-04-04 10.52983/crev.vi0.77 Un droit d’entrée sur le terrain à géométrie variable https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/79 <p style="margin: 0.42cm 1cm 0.42cm 1cm;" lang="fr-FR"><span style="font-family: Myriad Pro;">Cette contribution opère un retour réflexif et pratique sur l’accès au terrain d’une recherche en cours, portant sur les trajectoires et expériences des jeunes dans la justice pénale pour mineur·es en Suisse romande. En quête de vécus et de discours contrastés, nous avons privilégié une approche multi-site plutôt qu’une immersion au sein d’un unique dispositif. C’est ainsi par le biais de huit institutions pénales que nous avons pu nous entretenir avec des adolescent∙es confronté∙es à la justice. Négocier l’accès à des enquêté·es sous emprises institutionnelles par le biais de ces dernières a comporté deux spécificités majeures. D’une part, cela a entrainé la multiplication des situations de négociations, dont les impératifs, interlocuteur∙rices et modalités différaient à chaque fois. D’autre part, nous avons dû gagner l’accord d’un double public&nbsp;: les professionnel∙les de la chaîne pénale dans un premier temps et les jeunes dans un deuxième. Nos négociations ont ainsi été soumises à deux ensembles de contraintes, discours et techniques à mobiliser différents, si ce n’est opposés. Ce double impératif nous renseigne grandement sur notre objet et met en lumière plusieurs enjeux&nbsp;: les différentes relations d’enquête qui se donnent à voir sur le terrain (entre chercheur∙es et jeunes, entre jeunes et professionnel∙les…) ainsi qu’un certain mimétisme entre le type de sanction pénale et la négociation du terrain.</span></p> Armelle Weil Géraldine Bugnon Arnaud Frauenfelder (c) Tous droits réservés 0 2021-04-05 2021-04-05 10.52983/crev.vi0.79 Négocier pour accéder au terrain et conduire l’enquête https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/81 <p style="line-height: 115%; margin: 0.42cm 1cm 0.42cm 1cm;"><span style="font-family: Myriad Pro;">Cet article se penche sur les négociations en ethnographie, par la mobilisation d’un cas d’enquête comparatif original, mené auprès de deux institutions promouvant la santé sexuelle en Suisse romande. La première institution est un centre de santé sexuelle ayant pour public cible les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH). La deuxième institution est un centre de santé sexuelle accueillant le tout public (planning familial). Envisageant les négociations comme un processus itératif, je montre que les négociations ne se limitent pas à une étape unique à franchir en amont de la conduite de l’enquête. Par une analyse doublement comparative – entre deux institutions et entre deux phases de l’enquête – cet article montre qu’un accès officiel aisé ne constitue pas forcément une garantie d’accès à l’information dans la conduite de l’enquête. A l’inverse, un accès officiel complexe n’exclut pas un accès facilité à l’information dans la suite du travail de recherche. Ouvrant la «&nbsp;boîte noire&nbsp;» des négociations, il s’agira de comprendre et d’analyser ces dynamiques contrastées.</span></p> Marlyse Debergh (c) Tous droits réservés 0 2021-04-06 2021-04-06 10.52983/crev.vi0.81 Négocier son entrée dans l’Armée suisse https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/83 <p style="line-height: 115%; margin: 0.42cm 1cm 0.42cm 1cm;"><span style="font-family: Myriad Pro;">Si l’institution militaire reste considérée comme un terrain fermé et opaque, elle n’est cependant pas inaccessible au chercheur ou à la chercheuse civil-e. Elle implique cependant une réflexion en amont sur les enjeux spécifiques qui conditionnent l’accès au terrain, ainsi qu’une adaptation permanente pour s’y maintenir. Dans le cadre d’une thèse portant sur la socialisation sexuée des femmes militaires engagées volontairement dans l’Armée suisse, cet article revient de manière concrète sur les différentes stratégies et pratiques de négociation mises en place afin d’accéder aux casernes et aux enquêtées. Il met également en lumière les différents obstacles et résistances rencontrés, ainsi que les concessions qui ont été nécessaires à la réalisation de la recherche. L’«&nbsp;art de convaincre&nbsp;» n’étant pas indépendant de la personne qui tente de l’appliquer, les tactiques ont dû prendre en compte ses caractéristiques sociales, à savoir une jeune femme accédant à un bastion encore fortement masculin. Cela a impliqué notamment la construction d’<span style="font-family: Calibri;">une crédibilité scientifique et militaire suffisante afin d’être prise au sérieux, tout en sachant paraître suffisamment «&nbsp;inoffensive&nbsp;» pour l’institution.</span></span></p> Stéphanie Monay (c) Tous droits réservés 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2021-04-08 2021-04-08 10.52983/crev.vi0.83 Dans les coulisses d’un jury de piano https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/85 <p style="line-height: 115%; margin: 0.42cm 1cm 0.42cm 1cm;" lang="fr-FR"><span style="font-family: Myriad Pro;">Cet article propose de discuter du refus et ensuite de l’accès aux délibérations du jury dans les concours internationaux de musique classique. Cet accès m’a été refusé tout au long de ma thèse car le lieu des délibérations est formellement interdit à toute personne externe au jury. Lors des concours, les organisateurs n’aiment pas non plus que les jurés discutent avec d’autres personnes de la compétition en cours. Cette interdiction est même parfois mentionnée dans le règlement. Les organisateurs craignent, dans ces cas, une possibilité d’influence sur les membres du jury. Mes demandes de m’entretenir avec eux en-dehors de la salle de délibération sont restées systématiquement sans réponse. L’investigation de ces jurys constitue ainsi une tâche compliquée. Aucun chercheur n’a jamais été autorisé à accéder à une salle de délibération dans ce contexte. Néanmoins, après huit ans de refus, l’accès aux délibérations du jury m’a finalement été accordé par le directeur d’un concours, ma demande s’insérant dans une activité pédagogique, associant sociologues et musicologues. A travers des extraits de mon journal de terrain, je reviendrai sur les modalités du refus et ensuite de l’accès à ce terrain&nbsp;: l’alliance avec des musicologues, le jeu de rivalités entre concours, leur volonté de démocratisation et leur envie de se singulariser en étant le premier concours à ouvrir le jury à une personne externe. J’inscris également cet accès au terrain dans mon parcours de vie et dans un temps long, l’accès étant dans ce cas soumis au statut de docteure, et dans la transformation à la fois de la chercheuse et de son terrain. L’article revient aussi sur la difficulté de l’enquête dans des lieux soumis au silence et au secret.</span></p> Miriam Odoni (c) Tous droits réservés 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2021-06-01 2021-06-01 10.52983/crev.vi0.85 De la création de la possibilité de l’enquête à l’engagement ethnographique https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/87 <p>Les thématiques abordées dans l’entretien sont multiples et s’entremêlent en partie. Nous pouvons néanmoins en dégager quelques-unes. Après avoir exposé sa manière de comprendre le «&nbsp;cambouis&nbsp;» dans lequel tout ethnographe plonge ses mains (mais aussi sa tête et son cœur…), Olivier Schwartz revient sur les modalités distinctes d’entrée sur ses terrains d’enquête&nbsp;: alors qu’il mène une enquête que l’on pourrait qualifier d’«&nbsp;incognito&nbsp;»<span lang="fr-CH"> (Dargère, 2012) dans le Nord, auprès d’hommes et de femmes qui sont ses voisin·e·s, il se présente comme un sociologue universitaire à la RATP. L’accès aux conducteurs et conductrices de bus de la région parisienne fait l’objet de nombreuses petites négociations en cascade, du haut vers le bas de la chaîne hiérarchique. Bien que ces deux enquêtes aient cours sur une temporalité longue, les pratiques de (non) négociation mises en œuvre par Olivier Schwartz diffèrent fortement et sont en partie liées aux rôles endossés sur chacun des terrains. Après avoir discuté des tenants et aboutissants «&nbsp;pratiques&nbsp;», mais aussi épistémologiques, de ses manières différenciées d’enquêter, il raconte très concrètement la façon dont il se présente et présente son travail, soulignant la part </span>«&nbsp;d’inventivité&nbsp;»<span lang="fr-CH"> dont doit faire preuve l’ethnographe pour faire face aux imprévus ou aux lacunes inhérents à ce type de démarche. Il évoque la place centrale du statut de la parole dans ses enquêtes et aborde la question relativement peu débattue dans les arènes académiques des affects et des émotions dans la relation d’enquête, des raisons de ses insatisfactions, mais aussi de ses tourments et sentiments de culpabilité. Ces affects, loin d’être des parasites à la démarche d’enquête, sont au contraire de précieux </span>«&nbsp;baromètres&nbsp;»<span lang="fr-CH"> pour résoudre certains dilemmes éthiques qui surviennent, notamment, au moment de négocier la sortie du terrain et de restituer les résultats de l’enquête. Il insiste sur l’importance de débattre collectivement de ces questions et affirme que sans </span>«&nbsp;l’authentique souci des enquêté-e-s&nbsp;»<span lang="fr-CH">, la démarche ethnographique ne fait aucun sens.</span></p> Olivier Schwartz Agnès Aubry Morgane Kuehni Laure Scalambrin (c) Tous droits réservés 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2021-05-30 2021-05-30 10.52983/crev.vi0.87 Pour une sociologie curieuse, libre et tenace https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/article/view/89 <p>Cet échange était pour nous l’occasion d’inviter Jean Peneff à parler de sa carrière, à revenir sur les liens qu’il entretient avec certains sociologues de l’école de Chicago, mais aussi et surtout de nous raconter certaines de ses expériences d’accès aux nombreux terrains d’enquête qu’il a parcouru. De l’Algérie, où il a fait ses premiers pas d’enseignant-chercheur, jusqu’aux observations de la «&nbsp;jungle&nbsp;» de Calais réalisées plus récemment, en passant par la Bretagne, la constante de son parcours est une insatiable curiosité. Les pratiques de (non) négociation mises en œuvre par le sociologue sont très directement dépendantes du contexte d’enquête et de l’accueil qui lui est réservé. Capacité d’ajustement, de réajustement et d’anticipation sont donc à ses yeux des attributs nécessaires aux chercheur-e-s de terrain. Durant notre discussion, nous avons également questionné Jean Peneff sur l’observation incognito. Alors que ces pratiques de recherche sont aujourd’hui largement débattues dans les arènes académiques, il nous a semblé particulièrement intéressant d’entendre le récit d’une personne qui a créé des identités d’emprunt pour mener ses recherches. Ayant accompli toute sa carrière avec la même conviction de la nécessité d’aller voir par soi-même, il a plusieurs fois eu recours à la «&nbsp;clandestinité&nbsp;» pour poursuivre des enquêtes face à des mondes sociaux et professionnels qui s’y refusaient. Le retour régulier de cette invitation à la curiosité, voire à la ténacité, simple et franche, demeure une constante chez notre interlocuteur, malgré les tentations nostalgiques ou pessimistes qui pourraient survenir de certains développements actuels, notamment l’augmentation des exigences formelles dans la mise en place d’une enquête de terrain (passage par des comités d’éthiques, fiches de consentement, etc.), que Jean Peneff décrit comme de possibles obstacles à une pratique de l’enquête de terrain telle qu’il l’a connue au début de sa carrière.</p> Jean Peneff Morgane Kuehni Michaël Meyer (c) Tous droits réservés 2021 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0 2021-05-28 2021-05-28 10.52983/crev.vi0.89